Article de Frédéric Picard
HUMEUR - Avec humour, notre journaliste ose un voyage à
travers le temps, quand la magie de Noël s’essoufflera définitivement sous le
poids des injonctions, règlements, normes et autres interdictions dont notre bureaucratie
a le secret.
Que pourront lire les enfants au XXIII© JURE MAKOVEC /
AFP
Les miracles existent-ils encore ? Si vous lisez ces mots,
tracés à la main avec un stylo-plume et de l’encre, sur une véritable feuille
de papier, la réponse est oui, un miracle se déroule sous vos yeux. Dans un
monde où tout s’efface, votre ancêtre du XXIe siècle est
parvenu à vous transmettre une trace tangible, une empreinte presque oubliée du
passé.
Ce matin, alors que j’achetais quelques derniers cadeaux de Noël dans un vrai magasin, au
milieu d’une foule vivante et bigarrée, pour vos
arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents, Raphaël et Ambre, une
question m’a traversé l’esprit : «Au XXIIIe siècle, vous
demanderez-vous encore ce qu’était Noël ?» Je n’ai pas la réponse. Elle me
semble incertaine, floue, sans écho… évidemment lointaine. Mais, Noël, voyez-vous, c’était l’hiver. Oui, l’hiver… une saison
où il faisait froid, où la neige recouvrait les montagnes d’un silence blanc et
feutré. J’imagine bien que ce concept climatique doit vous paraître presque
irréel… mais, Noël, depuis des siècles, était une soirée de magie, une
parenthèse enchantée où l’on se retrouvait en famille, même recomposée.
Dans la plus grande pièce de la maison, on dressait un sapin
décoré qui embaumait le lieu d’une odeur résineuse, une crèche pleine de
symboles témoignait d’une histoire qui semblait éternelle, et une table
généreuse se couvrait de mets qui, même modestes, avaient le goût de
l’exception. C’était un moment hors du temps, simple et précieux, où les cœurs
se réchauffaient dans la lumière des bougies. Malheureusement, au fil du temps,
j’ai vu cette tradition s’effacer lentement, étouffée sous le poids des règlements,
des normes, des interdictions et des injonctions émanant de certaines minorités
devenues pressantes.
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choisissent le «Secret Santa» pour célébrer Noël
Entre mon XXIe siècle naissant et votre XXIIIe siècle, je
fais vibrionner mon imagination. Je ne serai pas là pour voir si la réalité
dépassera la fiction, mais voici ce que je crois qu’il adviendra à Noël dans
les décennies à venir.
Commençons par la crèche, ce cœur battant de la nuit où
l’on célébrait la naissance de l’enfant Jésus. Elle sera, sans surprise, la
première victime. À mesure que les années passeront, la petite cabane en bois
deviendra le point de mire des régulations. Ses matériaux seront jugés non
conformes aux normes environnementales Bâtiment & Environnement. Quant à la
paille, elle sera bientôt interdite pour non-respect des exigences NF X 08-070.
Mais le véritable tournant arrivera à la fin du XXIe siècle,
lorsqu’un organisme gouvernemental, la Mission pour l’Éradication des
Usages Historiques (MEUH), décrétera que la simple présence de l’âne
et du bœuf dans la crèche «relève d’une perpétuation symbolique de
conditions d’élevage à la limite de l’esclavagisme.» La M.E.U.H proclamera
que ces pauvres figurines en bois ou en résine «perpétuent
une vision archaïque où les animaux sont réduits à des rôles de travailleurs
forcés ou de décorations passives, sans consentement, bien sûr». Ainsi,
sacrifiés bêtement, l’âne et le bœuf disparaîtront, laissant la crèche
orpheline de leur présence silencieuse.
Mais j’ai bien peur que tout ne s’arrête pas là. Ces
renoncements, accordés sans résistance, ouvriront la voie à des bouleversements
plus vastes. Marie, par essence, deviendra LA cible. Sous prétexte qu’elle
représente un modèle figé, la Commission Libre d’Agir pour la Quête de
l’Égalité (CLAQUE) criera haut et fort que «célébrer
une femme uniquement pour son rôle de mère est une vision archaïque et
réductrice, incompatible avec les valeurs d’une société inclusive». La
CLAQUE soutiendra que «cette représentation inflige un préjudice
considérable aux multiples facettes possibles de la féminité » et
manifestera pour que Marie soit retirée de la crèche… Son vœu sera exaucé. Simultanément, la Confrérie
pour la Liberté et l’Inclusivité Collective (CLIC) exigera
le retrait immédiat de Joseph de la crèche pour éviter qu’il ne devienne «le
symbole d’une injustice sociale criante». Menuisier de son état,
Joseph incarne depuis la nuit des temps, selon la CLIC, «l’exploitation
invisible des ouvriers modestes, particulièrement les jours fériés, où leur
labeur reste dans l’ombre». Et, les réseaux feront courir ce slogan
jusqu’à vous, né de cette époque : «Quand le patronat trinque, les
ouvriers triment.»
Et les rois mages ? Ils feront à leur tour les frais d’un
combat idéologique sans précédent. Melchior, Balthazar et Gaspard seront pris dans un
tourbillon vertigineux. La Défense des Étrangers contre L’Injustice des
Représentations Européennes (DELIRE) multipliera les arguments,
affirmant que cette «imagerie dépassée véhicule une vision biaisée et
une occidentalisation forcée des figures orientales » et qu’en
incarnant «des étrangers riches et bienveillants, les rois mages
participent à une vision naïve et faussée des migrations modernes.» Face
au DELIRE, chacun prendra ses clic(s) et ses claque(s) et… dans un silence
assourdissant préférera se taire, de peur d’être stigmatisés ou, pire encore,
d’être catalogués comme conservateurs réactionnaires.
Mais quid de l’enfant Jésus ?
Là, tout se compliquera. Sous l’œil vigilant de la Haute Autorité pour la
Révision des Modèles et
des Options Non Inclusives Excluantes (HARMONIE), la question de son
identité sera posée avec une gravité presque scientifique. Les débats seront
houleux et longs et inversement.
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une loi pour préserver nos traditions ?
Face à ceux qui pensent que c’est un garçon, s’érigera un
NON catégorique. Trop patriarcal, trop classique. On dénoncera la perpétuation
des rôles dominants dans une société historiquement inégalitaire. Une fille ? Là encore, ce
sera NON. Même si quelques audacieux de la commission
citée plus haut voteront oui, célébrer une fille rappellerait des stéréotypes liés à la maternité, déjà effacés avec la disparition de Marie.
Un enfant non-binaire fera presque l’unanimité, mais le
concept sera jugé encore trop restrictif : certains exigeant une approche
encore plus inclusive, capable de représenter la diversité infinie des
identités. Ils batailleront même à n’en plus finir sur un enfant au genre
fluide. Cette option jugée moderne et séduisante affrontera rapidement, un
problème. Garantir cette fluidité en temps réel nécessiterait un panneau
lumineux interactif indiquant : «Aujourd’hui, l’enfant Jésus se sent…» Cette
idée complexe et trop coûteuse sera vite abandonnée.
Je ne résiste pas à l’envie d’imaginer la Ligue pour la Fin
des Invisibilités (LFI) qui aura une proposition radicale : remplacer l’enfant Jésus par un rayon de lumière éco-responsable, censé incarner une essence pure, débarrassée de toute notion de genre ou d’identité. Ce rayon, certifié neutre en
carbone, sera présenté comme l’avenir de Noël. Une idée qui ne
fera pas long feu…
Devant l’impasse, les 27 sages de cette haute Autorité
proposeront une solution neutre : l’utilisation du pronom universel « iel », censé satisfaire
tout le monde. Mais là encore, une nouvelle polémique éclatera : les puristes du langage dénonceront une offense grammaticale, tandis que d’autres exigeront la création d’un pronom inédit, qui ne verra jamais le jour.
Au bout du bout, l’organisme reconnu d’utilité publique
expliquera que «la question reste impérativement ouverte et qu’il ne faut
surtout pas imposer une identité normative qui risquerait de froisser la
sensibilité collective». Dès lors, la décision officielle et irrévocable
sera annoncée : ceux qui
souhaitent célébrer
pourront déposer un carré de tissu
blanc en coton bio (33 cm x 33 cm), sur lequel sera inscrit, avec une encre végétale : « Identité en cours de réflexion. »
Et c’est ainsi que peu à peu, les symboles disparaîtront,
effacés par la lame de fond d’un progressisme trop zélé, laissant la crèche
vidée de ses figures historiques et de sa mémoire.
De la crèche au sapin, il n’y a qu’un pas. Coupable lui aussi d’empreinte carbone excessive et de
déforestation, il laissera, j’en suis persuadé, au BioSapin HoloV2, un
sapin holographique habillé des guirlandes luminescentes biodynamiques et les
éco-orbites nano-plasmatiques, alimentées par micro-fusion énergétique neutre
en carbone. Quant au dîner de Noël, lui aussi aura disparu. Foie gras,
escargots, huîtres, dinde, saumon fumé… Même la bûche de Noël aura été
éliminée. Tout aura disparu sous les coups des directives du Groupe de
Réflexion sur l’Obésité et le Sucre (GROS). À la place, le GROS aura imposé un
repas 100 % végan, bio et locavore, sous réserve de remplir le Formulaire MIAM
pour prouver son faible impact carbone.
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planète
Mais pour pouvoir organiser cette unique soirée de Noël, il
aura fallu s’y prendre de longs mois à l’avance. L’administration toujours plus
nombreuse ayant inventé des formulaires. Encore et toujours.
Le Recueil d’Informations Dues pour l’Inscription
Cérémonielle à Usage Limité et Encadré (RIDICULE) sera le plus
complexe à remplir. Ceci étant le sésame pour évaluer votre impact
environnemental et culturel. Il faudra scrupuleusement expliquer qui vient,
d’où, pourquoi, jusqu’à quand ? Quel sera le menu… Seule son acceptation vous
donnera accès à la Notification Officielle pour la Neutralité et la Surveillance
des Événements Non Standardisés (NON-SENS). En signant le NON-SENS,
vous vous engagerez à ne rien faire d’original, de spontané ou symbolique lors
de votre soirée.
Cette notification devra être transmise en triple exemplaire
au Service de Traitement Unifié des Protocoles d’Inscriptions et de
Déclarations Exceptionnelles (STUPIDE) avant le 16 décembre. Le STUPIDE,
après examen, sera l’ultime service autorisé à valider votre soirée.
Au fil des ans, les soirées de Noël deviendront Kafkaïennes.
Et voilà, mes petits, comment Noël, nuit autrefois magique, sera devenue
neutre, aseptisée et tellement réglementée qu’elle en aura fini par
s’évanouir...
Mais j’ai un espoir. Oui, j’ose espérer qu’à l’heure où vous
lisez ces lignes, je me suis trompé et qu’il existe chez vous, un sapin qui
sent bon la forêt, une crèche pleine de symboles et une table où l’on se
retrouve dans la joie et les rires. Qu’il y a, encore, un peu de magie pour
illuminer les yeux et réchauffer les cœurs.
Et ça ce n’est pas un miracle… mais la volonté de vos aïeux
d’avoir fait perdurer notre histoire.
Avec tout mon amour.
(*) Le nom de toutes les associations, mouvements et
autres organisations mentionnés dans ce texte est totalement imaginaire. Toute
ressemblance avec des organismes existants serait pure coïncidence... ou alors
le fruit d’une imagination un peu trop inspirée.
Je trouve que c'est assez juste. Hélas ! Merci pour le partage. 👍
RépondreSupprimeril n'y aura pas de 23 ème siècle, le monde aura basculé avant..dans un nouveau cycle..complètement différent!!
RépondreSupprimerChaque période recèle son lot de renouvellement. Ce qui a été n'est déjà plus que dans notre souvenir. Il n'empêche que l'évolution des dernières années a été particulièrement questionnante. Il me semble que tout va plus vite alors je tente de profiter au maximum du présent. Que le XXIII eme siècle soit ou ne soit pas, nous ne le verrons pas. Confiance en ce qui est ! Douce journée à toi ! 😍😘
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