On nous a appris à lire comme on apprend à marcher sur des tessons de verre, 
avec la peur du faux pas et la douleur du moindre écart.

On nous a tendu des livres comme des ordonnances, 
sans nous dire qu’ils pouvaient guérir. 

On nous les a imposés comme des fardeaux, 
sans nous montrer qu’ils pouvaient alléger le monde.

On nous a appris à décortiquer les phrases, à traquer les métaphores, 
à disséquer les textes jusqu’à ce qu’ils n’aient plus ni souffle ni chair.

On nous a appris à lire sans entendre, à réciter sans comprendre, 
à mémoriser sans ressentir.

Alors on a lu pour obéir.

On a lu parce qu’il le fallait.

On a lu comme on exécute une peine, sans chercher à s’échapper.

Et puis un jour, on a fermé les livres.

On les a laissés là, recouverts de poussière et d’ennui, comme des objets vides, 
comme des pierres mortes.

On nous avait dit que la lecture était un devoir, jamais qu’elle pouvait être un refuge.

Mais parfois, dans une vie, un livre se glisse entre les ruines.

Un livre qui n’a pas été imposé, un livre qui ne demande rien, un livre qui attend 
simplement qu’on l’ouvre.

Alors, dans un coin de nuit, sous une lampe trop faible, on recommence.

On suit une phrase comme on suit une route oubliée. 
On s’arrête sur un mot comme sur un visage familier.

Et on comprend, trop tard ou juste à temps, que l’école n’a pas tué la lecture.

Elle l’a juste rendue clandestine.

(Ce texte n’a rien à voir avec les enseignants qui pour certains font un travail 
remarquable mais au système scolaire qui bride les élèves 
autant que les enseignants.)

Christopher Laquieze, écrivain essayiste et éditorialiste